La vieille femme de la ruelle

Publié le par Maldoror

ruelle vieille femme

A l'ombre d'un immeuble fatigué, une vieille femme est assise. C'est ici, à même le sol, qu'elle passe ses journées, dans une petite rue d’Istanbul.

 

Au loin, les clameurs du centre ville se font entendre: des étudiants profitant de quelques heures de liberté ; des épiciers pressés, tout affairés à leurs livraisons quotidiennes ; et des antiquaires enjôleurs, tentant de séduire les touristes indécis. 

 

La vieille femme est une antiquité dans son genre. Sa peau est grisâtre et de profonds sillons craquellent son visage. Ses cheveux ont blanchi, mais surtout jaunis, comme les pages d’un vieux livre.

 

Le plus frappant reste pourtant ses yeux. Ouverts, grand ouverts, écarquillés même, et qui donne à cette face sans âge un air hargard et hébété.

 

Et c’est ainsi, l'air hagard et hébété, que le vieille femme suit du regard les passants égarés. Depuis le bas de la rue, jusqu’au sommet. Depuis le sommet, jusqu’au bas de la rue.

 

mur fissuréMais son regard semble ne pas voir.

 

Et son corps semble ne pas sentir.

 

Et c'est machinalement, la main tremblante, qu'elle porte une cigarette à sa bouche. Et de manière saccadée, à répétition, tire d'imperceptibles bouffées.

 

Comme un automate fatigué dont les mécanismes se figeraient peu à peu. Comme une montre cassée dont les aiguilles se mettraient à bégayer.

 

Et c'est à peine si la cigarette rougeoit. Et c’est à peine si de la fumée s’en échappe.

 

Les yeux de la vieille se perdent alors dans le vague et lentement, pendant de longues minutes, la cigarette se consume. Les cendres s’accumulent en son bout, sans que la vieille n’y prête attention.

 

montre cassée jaunePuis, une bourrasque de vent, provenant du Bosphore, s'en charge pour elle, faisant pleuvoir les cendres sur ses lourds vêtements de laine.

 

C'est comme si l'âme s'en était déjà allée, laissant cette enveloppe de chair finir son temps et lentement dériver vers son terme…

 

Mais soudain, un nuage vient à passer, recouvrant d'un voile sombre la ruelle. Et les yeux du passant s'écarquillent alors de surprise, devant cette ironie du destin : c'est écrit là, à l'encre bleue, sur le mur au côté droit de la vieille…« We died alone »...Nous sommes morts seuls.

Publié dans Portraits

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